Quel rôle jouera le réseau numérique dans la logistique de demain ?
Interview de Lina Harispuru, Senior Scientist au sein de l’institut Fraunhofer IIS
Malgré l’ampleur que prend la numérisation : la plupart des processus de transport demeurent inefficaces. Et les deux principaux facteurs de cette inefficacité sont le manque de transparence et de coopération entre les parties concernées. Par son travail de recherche, Lina Harispuru, Senior Scientist au sein du groupe de travail Fraunhofer dédié aux services de Supply Chain, fait avancer le projet de logistique 4.0. Dans son interview, elle nous énonce les conditions requises et nous explique que nous sommes encore loin d’atteindre cet objectif.
TIMOCOM : Bonjour Madame Harispuru, depuis neuf ans, vous menez des recherches sur la logistique et le transport combiné. Pouvez-vous nous expliquer ce que comprend votre domaine de recherche.
Lina Harispuru : La gestion de la transformation numérique de la Supply Chain est la priorité des recherches du groupe de travail SCS de Fraunhofer. Dans ce contexte, mes recherches portent principalement sur l’intelligence artificielle (IA) et sur la production de connaissances à partir de données dans le programme prioritaire de recherche sur la logistique et le transport combiné mais aussi sur sa numérisation.
TIMOCOM : Vous avancez la thèse selon laquelle le transport interentreprises serait inefficace tant sur le plan financier que temporel. Premièrement : Qu’entendez-vous exactement par transport interentreprises ? Deuxièmement : Pourquoi est-il inefficace et comment résoudre ce problème ?
Lina Harispuru : Par transport interentreprises, nous entendons le transport entre entreprises en tant que pendant du transport intralogistique. En raison des asymétries d’informations liées à un manque de transparence ou de coopération entre les chargeurs d’un côté et les prestataires de l’autre, ces processus de transport interentreprises demeurent particulièrement inefficaces. La réduction de ces asymétries d’informations permettrait d’utiliser les données de transport de manière plus ciblée pour accélérer et réduire le coûts des processus de transport. Et l’acquisition et le partage de données jouent un rôle important dans ce contexte.
TIMOCOM : Vous voulez dire que les données actuellement disponibles pour les processus de transport sont insuffisantes ? Que faudrait-il améliorer pour que nous puissions parler de logistique 4.0 et comment définissez-vous précisément ce terme ?
Lina Harispuru : Les données actuellement disponibles pour les processus de transport sont encore insuffisantes pour assurer une gestion et une exécution automatisée des transports. En tant que dernier maillon de la chaîne de valeur, le transport requiert les données des étapes précédentes du processus. Toutefois, les données disponibles sont souvent erronées, incomplètes ou il n’y a aucunes données disponibles.
Prenons l’exemple du processus de transport de marchandises diverses :
Dans le domaine des marchandises diverses, on constate que les fabricants ne fournissent pas suffisamment de données sur les dimensions des produits à transporter. Cela complique l’ordonnancement ainsi que la planification et le chargement des poids lourds. Une grande partie des opérations ne peuvent pas être automatisées et il faut parfois même reprogrammer le chargement de manière spontanée. Seule une amélioration de la mise à disposition de
données pour les processus de transport permettra d’améliorer leur efficacité.
Par logistique 4.0, nous entendons donc un soutien des transports interentreprises basé sur les données et la mise en réseau grâce aux technologies numériques pour garantir une gestion, une organisation, une réalisation et une exécution plus transparente, flexible et efficace.
Par conséquent, les données disponibles doivent être mieux évaluées et de nouveaux moyens doivent être créés pour mettre les données des processus à disposition des différents acteurs. Il est indispensable, pour cela, d’utiliser des technologies numériques pour chaque étape du processus de transport et de promouvoir une mise en réseau de tous les acteurs.
TIMOCOM : Quel est le rôle de la FreightTech dans la mise en réseau ?
Lina Harispuru : Les applications FreightTech permettrons d’accélérer l'automatisation des chaînes de valeurs et de les rendre plus intelligentes. Les plateformes vont gagner en importance. Elles jouent un rôle clé dans la mise en réseau de tous les acteurs et exerceront, à l’avenir, un contrôle accru sur l’ensemble du processus et l’interaction de tous les acteurs. On observe également un renforcement de la coopération entre les acteurs bien établis et les startups. Un exemple probant est la coopération entre DHL et la plateforme américaine de transport terrestre, Convoy. Au cours des dernières années, la majeure partie des fonds mondiaux (env. 90 %) dédiés aux start-ups logistiques ont toutefois été investis aux États-Unis et dans les pays asiatiques. Moins de 10 % de ces fonds ont été investis en Europe. Malgré cela, un nombre croissant de start-ups spécialisées dans la FreighTech ont été créées en Europe et proposent des solutions pour les chaînes de valeur.
TIMOCOM : Nous en sommes arrivés aux mêmes conclusions dans notre livre blanc sur la FreightTech . Quels enseignements d’autres acteurs peuvent-ils tirés des start-ups dans le domaine de la FreightTech ?
Lina Harispuru : Ces start-ups logistiques suivent des modèles de gestion basés sur les données et utilisent, grâce à l’IA, l’éventail de données pour générer des offres supplémentaires ou pour rendre les chaînes de valeur plus efficaces, en particulier en termes de coût et de temps.
Il en résulte de nombreuses idées disruptives et intéressantes qui prouvent qu’une vision plus élargie permet de voir les choses différemment.
Les chaînes de valeur ou les écosystèmes entièrement automatisés, mis en réseau et intelligents peuvent mettre ces caractéristiques uniques en avant et se distinguer.
Dès lors, outre l’attribution de transport hautement automatisée et intelligente entre l’expéditeur et le prestataire, il faut maintenant aborder, sans tarder, les autres processus tels que la planification et l’exécution du transport et les processus en amont. Il est urgent, pour cela, de combler les lacunes actuelles. Et l’IA joue un rôle important dans ce domaine.
TIMOCOM : Notion d’Intelligence Artificielle dans le transport. Et comment le secteur de la logistique peut-il profiter de vos analyses ?
Lina Harispuru : Tout d’abord grâce à notre axe de recherche sur l’IA dans la logistique et le transport combiné. En outre, au sein du groupe de travail SCS de Fraunhofer l’approche holistique des entreprises joue un rôle important, et notamment la question des (nouveaux) modèles de gestion basés sur les données : Alors comment exploiter les données disponibles et développer de nouveaux solutions et services basées sur les données, à partir de celles-ci. Les résultats des recherches menées par nos différents services influent sur les pratiques actuelles. En effet, l’avantage est que nous analysons et scrutons différentes entreprises ainsi que leurs opérations et processus. Nous abordons des problématiques évidentes et déguisées et nous développons des solutions qui s’intègrent parfaitement dans les systèmes existants.
Et si on regarde vers l’avenir : Concernant le processus de transport et l’infrastructure logistique, le thème de l’hydrogène joue un rôle majeur et est un pilier stratégique.
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Informations personnelles
Lina Harispuru est Senior Scientist au sein de la division Analytics dans le groupe de travail Supply Chain Services de Fraunhofer au sein de l’Institut Fraunhofer pour les Circuits Intégrés (IIS). En tant qu’experte de ce secteur, elle travaille avec des associations, des ministères et des entreprises. Le but est de démontrer quelles applications des Analytics sont possibles dans le transport, quelle valeur ajoutée peut en être dégagée et quelle est l’évolution possible des processus et du marché du transport à l’avenir. N’hésitez pas à la contacter via son profil Linkedin